02 JUIN 2020. Au moment où l’humanité se bat contre un virus qui tue et détériore l’économie réelle, les débats sur des sujets hautement importants sur le devenir de l’humanité foisonnent et se posent avec acuité sur la scène internationale.
Partout dans le monde, ces questions importantes font l’objet de réflexions des grands penseurs avec comme principal objectif donner ou proposer des solutions de sortie de crise mais aussi des voies à arpenter une fois que la crise se termine.
Sacrée Covid 19, il aura bouleversé tout sur son passage.
La particularité de cette crise mondiale et globale née de la Covid 19 est le fait que l’origine de la crise elle-même est du domaine sanitaire. En fait les plus grandes crises mondiales surtout économiques venaient souvent des guerres ou mêmes des causes strictement économiques ou sécuritaires.
Il faut noter d’emblée que les préoccupations varient de pays en pays ou de continent en continent en fonction des réalités et du niveau de développement de chacun. Par exemple en Europe et même aux EU ou presque dans tous les pays du Nord : ce sont les problèmes liés aux montants, les mécanismes et les modalités d’utilisations des fonds décaissés pour les plans de résiliences qui agitent plus les débats.
En Afrique subsaharienne, le débat qui mobilise tout le continent concerne l’annulation de la dette afin de permettre à nos pauvres pays de pouvoir mobiliser des fonds rapidement pour résister à la pandémie. Le Président du Sénégal est le premier à faire appel dans ce sens aux créanciers. Il a été même adoubé dans cet exercice par le Président français Emmanuel Macron. C’est dans ce contexte que l’Union Africaine, par le biais de son Président Cyril Ramaphoza, a désigné 4 fils du continent pour mener le travail c’est-à-dire trouver des ressources nécessaires à l’Afrique.
Pourtant au moment où la majorité des Pays du Nord discute de leurs stratégies de sorties de crise, en Afrique Subsaharienne la question de la dette fait rage, des mutations profondes sont entrain de s’opérer sur les relations internationales notamment humaines, sociales et économiques entre les pays. En effet ces mutations générées évidement par la crise se manifestent par des actes ou des attitudes adoptées sournoisement par des pays. C’est ainsi que beaucoup de pays ont entrepris plusieurs actions comme la fermeture des frontières, le rapatriement des étrangers, la limitation des échanges et souvent l’arrêt total des échanges et tutti quanti, lesquelles actions peuvent être interprétées et se résumer en un mot ; le repli sur soi ou Mon Pays d’abord.
Un nouveau décor est planté, donnant naissance à une situation mondiale caractérisée par des mutations sur les relations internationales qui semblent effleurer carrément le Protectionnisme. Cet état de fait assimilable à un repli identitaire semble non seulement nous annoncer la montée ou le retour en puissance du Protectionnisme mais aussi remettre en causes les fondamentaux de son pendant économique qu’est le libéralisme et le libre-échange. Comme en 2008 le libéralisme est cloué au pilori pour son rôle joué de cette crise économique post Covid 19. Pour rappel beaucoup d’économistes avaient qualifié la crise de 2008 comme une crise de la mondialisation.
Pour encore illustrer cette situation de repli sur soi ou dé-mondialisation accélérée, nous avons pu identifier plusieurs types de mouvement en guise d’exemples : flux des hommes ou migratoires, flux sanitaires, flux économique, flux sécuritaire et social.
Ainsi sur le plan humanitaire, des flux migratoires sont notés partout. Presque tous les pays du monde surtout développés sont en train de rapatrier leurs compatriotes. Des vols spéciaux sont déployés par beaucoup d’Etats malgré la fermeture des frontières pour rapatrier des compatriotes. Autrement dit un retour au bercail. L’Inde est le dernier grand pays à rapatrier plus de 200 000 de ses compatriotes. En Afrique, L’Algérie, L’Egypte et l’Afrique du Sud ont par exemple tous rapatrié beaucoup de leurs ressortissants qui étaient en Chine dès le début du mois de Mars.
Sur le plan sanitaire, un fiasco total est noté dans les approvisionnements de matériels médicaux surtout les équipements tels que les masques, les gants, les respirateurs et certains médicaments même, etc., dans beaucoup pays du fait des restrictions. On aura vu des cargaisons de masques détournées de leur destination depuis les aéroports, des confiscations etc…Cette lutte contre la pandémie a d’ailleurs réveillé de vieilles pratiques assimilables aux méthodes hollywoodiennes et propres aux politiques protectionnistes notamment des tentatives de confiscations de masques (Allemagne a accusé les EU sur une commande de 200 000 confisques à Bangkok) des réquisitions tous azimuts (la France a été accusée d’avoir saisi le 5 mars dernier sur son territoire des masques appartenant à la société suédoise Mölnlycke qui étaient destinés à l’Espagne et à l’Italie).
C’est sur le plan économique que les signes d’un retour à la politique protectionniste sont plus visibles avec une destruction profonde des chaines de valeurs économiques. Dans le domaine du commerce, plus de 20 pays ont pris des mesures d’interdiction ou de limitation des exportations de matériels médicaux et de médicaments en pleine pandémie de la COVID-19. A titre exemple nous pouvons citer la France qui a interdit toute vente de médicaments à l’étranger, malgré les injonctions de l’UE demandant à tous ses pays de suspendre ces restrictions. Le Vietnam qui représente 16% de part de marché mondial du riz avait suspendu les nouvelles licences d’exportations jusqu’en fin Avril 2020 à cause de la Covid 19. Le Kazakhstan, qui détient 3% des exportations mondiales de blé, a annoncé des restrictions des exportations de plusieurs produits céréaliers, ainsi que des oléagineux et des légumes. Même la Russie qui fait partie des grands producteurs et exportateurs de blé dans le monde envisage de restreindre son commerce de céréales.
Pas moins de 80 pays (dont 72 membres de l’OMC qui compte 164 membres) ont adopté une ou plusieurs mesures de restrictions perturbant le commerce mondial, les chaînes d’approvisionnement, les entreprises, les emplois, etc. Certainement la crainte de la pénurie et la nécessité de constituer des stocks de précautions (de réserves) sont les principales raisons de ces comportements adoptés par beaucoup de pays.
Toutes mesures de restrictions (blocage les exportations de ces produits et matériels vers les pays tiers) tendant à freiner le commerce mondial témoignent le retour en force du protectionnisme. L’ampleur de ses mesures de restrictions repose le débat sur la pertinence du protectionnisme devant son pendant de toujours le libre-échange. Le protectionnisme prendrait-il sa revanche sur le libéralisme ? Cette pandémie n’annoncerait-il pas la fin du libéralisme ?
En tout cas les partisans du protectionnisme commencent à bomber le torse en vantant même des vertus du protectionnisme comme l’économiste français Yves PEREZ fervent défenseur du Protectionnisme. Il s’y ajoute que leurs voix semblent être entendues par certains gouvernements qui sont en train de le mettre en œuvre sans vouloir le dire. Emmanuel Macron, l’a récemment souligné en ces termes « produire plus sur le sol national ».
Faudrait-il souligner que cette prolifération des barrières ou restrictions imposées par beaucoup de pays en ces temps de pandémie inquiète plus les dirigeants des grandes institutions internationales. Le SG des NU Antonio Guterres a déclaré au début de cette crise lors d’une conférence de Presse en visioconférence : « Nous devons nous abstenir de la tentation de recourir au protectionnisme. Le moment est venu de démanteler les obstacles au commerce et de rétablir les chaînes d’approvisionnement ». La banque mondiale l’a dénoncé ainsi que l’OMC.
La FAO a toutes les difficultés pour acheminer par exemple l’assistance en vivres et médicaments aux pays africains du fait de la fermeture des frontières. La fermeture des frontières restreignant le transport aérien et perturbant les échanges commerciaux. En effet cette situation de dérèglement mondial caractérisé par une des restrictions d’exportations de repli sur soi risque d’accentuer la crise alimentaire mondiale surtout en Afrique.
L’Afrique victime et gagnante ?
L’Afrique, terreau des crises alimentaires est la plus inquiète de ce règlement mondial. La fragilité de l’Afrique sera mise à rude épreuve avec les perturbations des échanges commerciaux nées de ces restrictions du fait de la pandémie de la Covid 19.
Malgré le fait que l’Afrique représente 2% du commerce mondial, elle bénéficie beaucoup plus du système actuel du libre-échange malheureusement ou heureusement, c’est selon. Puisque son économie est tributaire des échanges mondiaux et des pays du Nord. C’est pour cela que l’Afrique risque d’être la première victime et dans l’immédiat si les Etats continuent de prendre des mesures freinant les échanges mondiaux. Les conséquences seront fatales pour beaucoup de pays. D’ailleurs ces dernières commencent à être ressenties avec la pénurie de plusieurs produits dans le monde particulièrement dans le domaine médical (pénurie matériel médical, masques, médicaments) et agricole.
L’Afrique connait une dépendance économique chronique et grave. Elle est plus perceptible sur le plan alimentaire d’où la dangerosité de ces restrictions pour nous africains. Selon la FAO, L’Afrique subsaharienne consacre entre 37 et 49 milliards de Dollars à l’importation de produits alimentaires entre 2012 et 2017 et parmi les produits les plus achetés à l’extérieur, les céréales arrivent en tête.
Certes, ce n’est pas en temps de crise qu’on peut improviser des solutions immédiates à une situation vieille de plusieurs décennies mais nous pouvons et nous devons profiter de cette crise pour repenser notre modèle économique et changer de paradigme. Les européens ont commis l’erreur dans la foulée de la mondialisation de délocaliser une grande partie de leurs industries au profit des pays asiatiques principalement la chine. L’Europe s’est désindustrialisée.
En le faisant, les européens cherchaient à bénéficier du coût de la main d’œuvre très bas et de la disponibilité des matières premières relativement moins chères. Mais aujourd’hui avec cette crise de la Covid 19, la politique de la relocalisation des chaines de valeurs et de la diversification est mise en branle par les européens afin de réduire la dépendance à la Chine (Atelier du monde) et les autres pays asiatiques.
Si l’erreur des européens c’était de délocaliser leurs industries en Asie, celle des africains est d’avoir laissé sa sécurité alimentaire aux mains des pays asiatiques comme le Vietnam, l’Inde, l’Indonésie, le Cambodge, la Chine pour ne citer que ces pays pour les céréales. L’Afrique subsaharienne produit en moyenne 60% de ses besoins alimentaires dans le domaine des céréales (riz), le reste c’est-à-dire les 40% est importé.
D’ailleurs une des solutions préconisées par les européens c’est la relocalisation des chaines de valeurs. Par contre une des premières solutions de l’Afrique sera de régler son autosuffisance alimentaire.
Autrement dit, l’Afrique doit retourner à la terre pour nourrir sa population. Le potentiel agricole Africain est incommensurable et incomparable à tout point de vue. L’Afrique dispose des meilleures terres cultivables du monde, de bons cours d’eau, le meilleur climat favorable à l’agriculture, etc. Toutes les conditions sont réunies pour que l’Afrique puisse cultiver et nourrir sa population.
L’Afrique doit penser à se reprendre et gérer son avenir avec ses ressources et ses potentialités. Longtemps considérée comme la chasse gardée des pays occidentaux, elle doit occuper une place importante dans les relations internationales. En effet le monde est dans une nouvelle phase de recomposition et de reconstitution, l’Afrique gagnerait plus dans un regain d’intérêt de ses fils à l’endroit du continent.
Nous comptons aborder les autres solutions préconisées pour l’Afrique dans d’autres publications comme par exemple la nécessité d’industrialisation de notre continent, les efforts dans le domaine de l’éducation et de la Sante etc.
Khaly Diouf
Secrétaire Général de la Cellule des Cadres de Rewmi (CECAR)
KHIRENA