04 AOÛT 2020. Les embouteillages monstres de Lagos, mégalopole économique du Nigeria, n’ont rien de nouveau. Mais avec la fermeture partielle du pont principal de la ville, y circuler est devenu un véritable enfer pour ses 20 millions d’habitants. 

Matin et soir, aux heures de pointe, l’entrée de Third Mainland Bridge se transforme en gigantesque goulot d’étranglement pour les voitures. 

Cyril Oyenuga, est exténué. Il soulève la petite serviette de bain coincée dans sa portière pour protéger son visage du soleil. « Hier j’ai passé cinq heures dans les bouchons. C’est trop de fatigue ». « Mais je n’ai pas le choix, il faut bien que je travaille », lâche-t-il, désabusé.

Le Third Mainland, deuxième plus grand pont d’Afrique, s’étend sur près de 12 kilomètres au dessus de la lagune de Lagos et a été bâti en 1990 pour relier le continent où vit la majorité de la population et « les îles », son coeur économique.

A l’époque, Lagos ne comptait que 6 millions d’habitants. Désormais ils sont 20 millions, et des dizaines de milliers de véhicules l’empruntent chaque jour. 

De nombreuses rumeurs sur sa sécurité et le manque de maintenance ont souvent effrayé les Lagossiens, mais avaient toujours été niées par les autorités. 

Cette année, alors que le trafic est un peu ralenti par la crise du coronavirus, le gouvernement a annoncé des travaux de six mois et sa fermeture partielle – en alternant l’une et l’autre voie selon les heures de pointe – pour prévenir son « effondrement complet ». 

« S’il y avait une autre solution, nous l’aurions prise », a déclaré fin juillet le ministre des Infrastructures et ancien gouverneur de l’Etat de Lagos, Babatunde Fashola. 

Il a demandé la « coopération » des usagers, mais tous dénoncent le manque d’alternatives ou de transports en commun efficaces.

– Manque d’alternatives – 

Les deux autres ponts reliant « les îles » au continent sont bien insuffisants pour absorber le flot de travailleurs qui font ce trajet au quotidien, d’autant qu’un de ces deux ouvrages est également partiellement fermé pour rénovation. 

D’ambitieux projets d’aménagement urbain ont été lancés ces dernières années à Lagos sans jamais voir le jour: après des années de retard, le chantier d’un tramway urbain sensé désengorger les routes de la ville est au point mort. 

Quant au transport fluvial qui demeure l’alternative la plus prometteuse au tout routier, son développement est compliqué par le manque d’infrastructures et des normes de sécurité balbutiantes à bord des navettes maritimes. 

Pour l’immensité des Lagossiens, prisonniers des bouchons plusieurs heures par jour, la fermeture partielle de Third Mainland est vécue comme un véritable calvaire.

Désormais, Kayode Lawson met plus de deux heures à se rendre à son travail: une distance qu’il couvrait habituellement en une quarantaine de minutes en un taxi collectif. 

Un trajet plus long qui revient aussi beaucoup plus cher à cet étudiant en stage. « Les prix avaient déjà augmenté à cause des règles de distanciation sociale qui limitent le nombre de passagers dans les bus », explique-t-il à l’AFP. 

Désormais, le trajet qu’il payait 100 nairas (0,20 euro) avant la crise, a plus que doublé en heure de pointe.

Le couvre-feu toujours en vigueur à partir de 22H00 à Lagos pour tenter de freiner la propagation du Covid-19 est un défi supplémentaire pour les automobilistes, qui peuvent se retrouver bloqués pour la nuit ou soumis au racket d’agents de police corrompus.

« Nous sommes obligés de partir encore plus tôt du bureau, pour avoir une chance de rentrer chez nous dans les temps », regrette Richard, installé à l’avant d’un minibus affrété par la compagnie privée qui l’emploie comme chargé de marketing.

– Perte de productivité –

Pour l’économiste nigérian Bismarck Rewane, la perte de productivité liée à la fermeture partielle de Third Mainland pourrait se chiffrer à plus de un milliard de dollars par mois dans un contexte économique déjà très morose.

Confronté au double défi de la pandémie de Covid-19 et de la chute drastique de ses revenus pétroliers, l’économie du Nigeria devrait se contracter d’au moins 3,4% en 2020 selon le FMI, faisant entrer le pays en récession. 

Pourtant, même si la fermeture de Third Mainland Bridge va affecter « tous les secteurs de l’économie » elle n’en est pas moins inévitable selon l’analyste nigérian.

Bismarck Rewane constate qu' »il vaut mieux conduire ce chantier dès à présent alors que de nombreuses entreprises continuent le télétravail, que les écoles et les lieux de culte sont fermés et que l’économie tourne au ralenti, plutôt que dans six mois avec un coût vraiment prohibitif ». 

AFP

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