Entre donner les preuves de l’exactitude d’une information et dévoiler la source de cette dernière, y a-t-il une frontière absolument étanche ? Ce n’est pas défendre la diffusion de l’information sans preuve que de rappeler qu’il y a de ces preuves dont las caractéristiques sont telles que leur divulgation équivaudrait à la levée du voile déontologique sur la provenance. Autrement dit, la révélation de la source qui peut avoir souhaité ne pas être identifiée ou qui serait mise en insécurité (physique, morale, sociale, psychologique…) Protéger sa source est une obligation déontologique et éthique pour le journaliste, quoique cette protection puisse lui coûter.

Depuis l’interpellation du journaliste Cheikh Yérim Seck et sa traduction devant la justice, a resurgi le débat entre la légitimité de la protection de la source et la crédibilité pour le journaliste de donner les preuves des informations qu’il diffuse. On ne lui demande pas de balancer sa source, mais plutôt de donner la preuve de l’exactitude de son information, s’écrient ceux pour qui la protection d’une source n’a pas de sens devant l’obligation de la preuve. Même si cette dernière peut renvoyer au premier concept. Dans certaines circonstances, à force de recoupements, les preuves peuvent faire remonter à la source.

Et autant la source peut être mise en danger, autant le journaliste peut lui-même s’enfoncer en étant passible de poursuites judiciaires pour diffusion d’informations et/ou de documents « pénalement protégés » (sic). Voyez donc comment la posture est périlleuse.

La  Cour européenne de droit de l’homme (Cedh) dont l’arrêt Goodwin contre Royaume-Uni, devrait inspirer la justice du Sénégal, répète, de manière inlassable, que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et la condition sans laquelle, faute de sources, la presse ne serait plus en mesure de fournir au public des informations sur des questions d’intérêt général et de « jouer son rôle indispensable de « chien de garde » ».

Cheikh Yérim Seck a révélé sur une chaîne de télévision dakaroise, 7Tv, en l’occurrence, des informations que le public a le droit de savoir et la journaliste le devoir de les lui donner (c’est nous qui soulignons cette stipulation de la Charte des devoirs du journaliste professionnel édictée à Munich en 1971). L’opinion publique sénégalaise a le droit de connaître la vérité dans cette perquisition de gendarmes chez une famille de Sénégalo-Libanais suspectée, entre autres, de blanchiment d’argent et chez laquelle a été saisie une astronomique somme d’argent (6 milliards de francs Cfa) dont une partie infime (650 millions de francs Cfa) aurait été déposée là où il se doit. Qui a donné cette information au journaliste et, ce dernier, quelles preuves en détient-il ? Toute la polémique est là. Il ne s’agit pas d’absoudre le journaliste, ni de le mettre en faute, mais de se préoccuper de ce que des pressions judiciaires semblent vouloir le pousser à révéler des sources à travers des preuves qu’il aurait fournies.

La justice du Sénégal ne devrait pas dire moins que les articles 109, 326 et 437 du code de procédure pénale (Cpp) français qui disposent qu’« un journaliste cité devant un juge d’instruction, une cour d’assises ou un tribunal correctionnel, pour être « entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité », est libre « de ne pas en révéler l’origine » (…).

Protéger sa source, revenons-y, est à la fois obligation et devoir déontologiques et éthiques pour tout journaliste. La source a droit à une protection même s’il ne la demande parce que n’ayant pas conscience des dangers dont celui de mort qu’il peut encourir dans la révélation de son identité. L’exemple le plus récent est survenu en février 2020 au Mali où un éleveur interviewé sans protection de son identité par la chaine de télévision France 24 a été enlevé et tué par des djihadistes.

Ce n’est pas à des policiers ni à des gendarmes, ni à tout autre enquêteur que le journaliste devrait révéler ses sources, quelles que soient les risques que lui fit encourir son refus de collaborer. Cela, ils le savent les gendarmes ayant interrogé Cheikh Yérim Seck, placé en garde à vue et balloté entre la gendarmerie et les juges ; ils savaient à quelle réponse ils devaient s’attendre quand ils ont demandé à un journaliste de divulguer un secret professionnel protégé par les différentes chartes de déontologie journalistique.

Jean Meïssa DIOP

Walf n* 8467 du 19 juin 2020

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