15 OCT 2020. En pays sérère, à l’approche de l’hivernage, un « Xooy » ou « l’appel des Saltigués » est organisé pour permettre à ces derniers de faire des prédictions, mais aussi des recommandations pour prévenir les catastrophes et pour une saison des pluies paisible et abondante. Par le passé, ces prédicateurs jouaient aussi le rôle de conseillers des rois.
Oumar KANDÉ et Aliou Ngamby NDIAYE (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)
En venant de Fatick vers Foundiougne, le centre de l’Association des guérisseurs dit Malango est situé sur la rive gauche du bras de mer « le Sine ». Dans le centre, en ce lundi 24 août 2020, il n’y a pas de grande affluence. Émile Niane, responsable local du centre, s’occupe aussi de l’accueil et de l’orientation des usagers. Quelques guérisseurs et des agents de la structure sont assis sur une tribune surplombant la cour. C’est sur cet espace que se tient, chaque année, la cérémonie du « Xooy » qui, en sérère, veut dire « appel ». C’est une séance de divination pendant laquelle les saltigués rivalisent d’ardeur dans les prédictions à l’approche de l’hivernage.
Trouvé dans une des cases située derrière la cour principale du centre, Ibrahima Ndong est saltigué et guérisseur. Il collabore avec le centre Malango depuis longtemps. Cet homme de 62 ans est un ancien lutteur. À force de solliciter les gourous pour triompher lors des séances de lutte organisées dans le Sine et le Saloum, il a fini par apprendre beaucoup de choses et est devenu guérisseur, en plus de son titre de saltigué. Assis à côté d’un petit lit en fer, il nous accueille dans son espace de « travail ». En face de lui, sont entreposés plusieurs talismans, potions magiques en poudre dans des sachets ou dans de petits canaris. Le décor de sa case ressemble à une véritable caverne de faiseur de miracle. Pour lui, le « Xooy » est d’une grande importance pour la communauté. « Le « Xooy » a toujours existé dans la société sérère. À l’approche de chaque hivernage, le Tout-Puissant nous permet de voir certaines choses à venir et on fait des prédictions non pas pour montrer qu’on est puissant ou mystique, mais pour aider la communauté, le pays. À chaque fois que les esprits ou le pouvoir qui est avec nous nous permet de voir venir des évènements heureux ou malheureux, on l’annonce et recommande des sacrifices», confesse le saltigué Ibrahima Ndong du village de Karndiane (commune de Ndiébel, département de Kaolack).
Pour celui qui garde toujours un physique de lutteur malgré ses 62 hivernages, un saltigué est un berger qui prie pour la communauté. De ce fait, il doit dire toute la vérité, qu’elle soit sociale, politique ou économique, pour permettre aux gens d’anticiper et de mieux appréhender les évènements à venir. Sa tenue blanche de saltigué enfilée, Ibrahima Ndong porte son collier mystique en bandoulière. Avec la médiatisation, le rôle du saltigué est en train d’évoluer « car chacun a sa manière de travailler ». Cependant, il insiste sur le fait que les informations reçues par le saltigué étant un don de Dieu, il faut qu’elles aident la communauté dans le secret. C’est ce qui donne au « Xooy » toute son importance, dit-il.
Cette séance de divination fait partie du patrimoine immatériel des Sérères et constitue un outil de régulation et de protection de la communauté. Étymologiquement, saltigué signifie celui qui prie, explique Émile Niane, responsable local du centre Malango. À l’origine, les saltigués étaient des sages qui se regroupaient en brousse à l’approche de l’hivernage pour formuler des prières parce que ce sont des cultivateurs, éleveurs et pêcheurs avant tout. « En formulant ces prières, Dieu les acceptait et on a fini par leur coller l’étiquette de devin. C’est de là qu’est venu le nom de saltigué qui a un rôle social. Il doit informer, sensibiliser et protéger les populations », affirme Émile Niane.
Les pouvoirs du saltigué se transmettent à travers un héritage familial ; mais, en pays sérère, la famille revêt un sens élargi. Dans les villages sérères, on organisait les « Xooy » pour écouter les devins et chacun, à son tour, faisait des prédictions. On ne disait pas « telle personne a dit », mais tout simplement « le « Xooy » a dit », pour garder le secret.
Mamadou Faye, enseignant-chercheur en histoire des Sérères, responsable des Langues nationales à l’Inspection d’académie (Ia) de Fatick, confirme aussi que le « Xooy » est un mode de prévention et de protection des populations qui se tenait à l’approche de l’hivernage. Il permettait aussi de connaître les maladies qui risquaient de faire leur apparition et de tenter de les contrer mystiquement. À l’époque, c’est le roi qui présidait le « Xooy », qui était un événement très sérieux. D’après ses enquêtes, si un saltigué prédisait une chose qui ne se réalisait pas, la prochaine année, il n’avait plus le courage de revenir au « Xooy » à Diakhao. Le vrai saltigué, dit M. Faye, ce n’est pas seulement celui qui prédit la date de la prochaine pluie, « ce qui est très facile », mais celui qui peut prédire les calamités à venir et donner les offrandes à faire pour les contrecarrer.
Le Saltigué, un conseiller chargé de la mystique du roi
Même dans le système de gouvernance des royaumes sérères, le saltigué avait une place de choix en tant que responsable du pouvoir mystique et conseiller du roi. « Le pouvoir mystique avait sa place dans la royauté. Le roi ne faisait pas tout. On a pratiqué la démocratie avant la colonisation », souligne Mamadou Faye. Insistant sur l’importante du saltigué dans le système de gouvernance sérère, il précise que pour toutes les grandes décisions, notamment pour les guerres, il y avait une préparation mystique à côté de celle militaire. Et ce sont les saltigué qui s’occupaient de l’aspect mystique. C’est ainsi qu’ils ont joué un grand rôle dans la bataille entre le Bour Sine Coumba Ndoffène Fa Maak et Maaba Diakhou Bâ en 1864, participant à la victoire du premier nommé. Selon Mamadou Faye, les saltigués avaient aussi déconseillé au Bour Sine Coumba Ndoffène Fa Maak de se rendre à Joal rencontrer le colon car ils avaient vu sa mort.
Revenant sur l’importance des saltigués, Émile Niane de Malango rappelle que cette année, avec la pandémie de Covid-19, le « Xooy » n’a pas pu se tenir, mais « les gens appellent de partout pour demander parce que c’est un évènement suivi à travers le Sénégal et le monde entier ».
Le responsable local de Malango assure que lors du dernier « Xooy », ils avaient prédit la pandémie à coronavirus. Malheureusement, les recommandations qu’ils avaient faites n’ont pas été respectées. Les saltigués regrettent aussi le fait de ne pas avoir été impliqués dans la riposte contre la Covid-19.
Patrimoine mondial de l’Unesco
Avec les nouvelles technologies et les médias, les choses ont évolué et chaque saltigué veut se vanter, prouver qu’il est le meilleur, constate Émile Niane. Toutefois, il reconnaît que la médiatisation a aussi permis au « Xooy » d’être connu à l’international. « Avant, le « Xooy » ne se filmait pas. Aujourd’hui, on a voulu l’ouvrir et c’est un mal pour un bien. Depuis 2014, le « Xooy » qu’on organise ici a des impacts. Le « Xooy » est maintenant classé patrimoine mondial de l’Unesco », soutient le responsable local de Malango.
INITIATION EN PAYS SÉRÈRE
La case de l’homme
L’initiation en pays sérère est une sorte d’école de préparation du jeune garçon à la vie d’adulte. À la fin du séjour dans la brousse, dès leur retour, les garçons devenus adultes pouvaient jouer le même rôle que leur père dans la vie sociale.
L’initiation, passage obligé des jeunes garçons pour devenir adulte dans la société sérère, était un moyen de préparation de l’homme. Elle avait, de ce fait, une grande importance tout en étant décisive pour la vie du jeune garçon. Ce dernier devait sortir de la case des hommes en adulte responsable. « L’initiation était quand même appelée « la maison de l’homme ». Comme on prépare la fille avant son mariage, on préparait aussi le garçon aux difficultés de la vie et du mariage », explique Émile Niane, responsable local du centre Malango. Appuyant cette thèse, Mamadou Faye, enseignant-chercheur en histoire des Sérères, responsable des Langues nationales à l’Inspection d’académie (Ia) de Fatick, explique que la tenue des initiations entrait dans le champ des compétences dévolues au roi du Sine. Le Bour Sine était le seul habileté à les ordonner. Il donnait une date et les garçons en âge d’être initiés étaient rassemblés sur un site. On avait des groupes de 300 à 500 garçons qui étaient amenés dans la brousse où ils faisaient un séjour de préparation à la vie d’au moins trois mois. « Au sortir de cette grande école qui est une université de la vie, l’initié pouvait valablement remplacer son père. Dans la case de l’homme, il y a plusieurs écoles », assure-t-il.
Toutefois, du fait de la rigueur de l’initiation, il fallait avoir au moins 15 ans. Au-delà de la circoncision, il y a avait d’autres épreuves à supporter physiquement, psychologiquement et mystiquement. Du fait de la dureté de ce rite, il y avait parfois des morts avant la fin du séjour en brousse, ajoute l’historien. C’est pourquoi, les jeunes étaient préparés mystiquement. « Il y a une prévention mystique qui accompagne l’être humain depuis la naissance jusqu’à la mort. Avant la naissance, on protège la maman et le fœtus ; à la naissance aussi l’enfant sera protégé jusqu’à son mariage et cela va continuer. La préparation se faisait par les sages et les initiés », rappelle Émile Niane.
Maintenant, ces pratiques disparaissent de plus en plus sous la menace de la modernité et de la religion. S’il y a aujourd’hui beaucoup plus de divorces qu’avant, c’est que ces pratiques sont délaissées et que les jeunes hommes ne sont plus bien préparés à mieux affronter les épreuves de la vie, explique Émile Niane, spécialiste de la médecine traditionnelle et expérimentale. « Il faut revoir tout cela, faire revenir ces outils de formation traditionnelle de la jeunesse qui préparaient l’homme et qui l’aidaient à surmonter beaucoup de difficultés de la vie », recommande M. Niane.