31 OCT 2020. Plus de 7 millions d’électeurs sont appelés aux urnes ce samedi lors d’un scrutin marqué par le boycott des principaux candidats de l’opposition et au terme d’une campagne très tendue.
Jeudi 29 octobre, en début de soirée, alors que la campagne électorale touche à sa fin, le cortège de Patrick Achi vient de dépasser le village d’Agbaou (150 km au nord d’Abidjan), sur l’axe Akoupé-Adzopé, quand des tirs retentissent. Panique, incompréhension. Est-ce une erreur de sa garde rapprochée ? Une attaque visant directement le secrétaire général de la présidence ? Difficile à dire avec certitude, mais l’événement témoigne d’une situation particulièrement volatile.
Quelques heures plus tôt, Alassane Ouattara avait achevé sa campagne par une démonstration de force à Abobo, paradant dans cette commune d’Abidjan qui lui est favorable devant des dizaines de milliers de partisans chauffés à blanc. Ce fut seulement la deuxième véritable apparition publique du chef de l’État depuis le lancement officiel de sa campagne à Bouaké, le 17 octobre. Le reste du temps, il s’est fait représenter sur le terrain par ses principaux lieutenants et ministres. C’est ainsi Patrick Achi qui a répondu aux questions du patronat et, plus tard, à celles des journalistes de la Radio télévision ivoirienne (RTI).
Ces derniers jours, Alassane Ouattara a affiché le visage d’un homme serein. Pour le chef de l’État, le plus dur est-il passé ? Peut-être. Depuis qu’il a annoncé qu’il se présenterait à un troisième mandat, début août, des violences qui ont dégénéré en affrontements intercommunautaires ont fait une trentaine de morts. Malgré tout, le président a tenu bon, comme le prédisaient ses lieutenants en début de campagne. « Il y aura des incidents ici et là, mais l’élection se tiendra et nous la remporterons », assurait un ministre il y a quelques semaines.
Rupture
En dépit de ces paroles rassurantes, l’issue de cette élection semble encore incertaine. L’enjeu n’est évidemment pas le résultat. Des quatres candidats retenus par le Conseil constitutionnel, seul Kouadio Konan Bertin affrontera le chef de l’État. Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan ont, eux, décidé de boycotter, refusant d’accréditer la « forfaiture » d’Alassane Ouattara.
Depuis qu’ils ont appelé à la désobéissance civile, mi-septembre, Bédié, Affi N’Guessan et les autres figures de l’opposition sont dans une logique de rupture. Convaincus que le président sortant viole la Constitution et que son troisième mandat est illégal, ils refusent de prendre part à une élection dont ils considèrent que les conditions d’organisation sont viciées – ils réclament notamment la recomposition de la Commission électorale indépendante (CEI) et de ses antennes locales.
Dans ce contexte tendu, Laurent Gbagbo, pourtant muet depuis son arrestation, le 11 avril 2011, a décidé de rompre le silence à la dernière minute en accordant une interview à TV5 Monde depuis Bruxelles, le 29 octobre. Un choix fait, selon lui, en raison de « la catastrophe » qui guette le pays après la présidentielle.
Désireux de rappeler qu’il est toujours là et de montrer qu’il entend encore jouer un rôle sur la scène politique, le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI) a appelé au dialogue et à l’apaisement. S’il ne s’est pas risqué à relayer l’appel à la désobéissance civile des autres opposants – son cas est toujours en procédure d’appel devant la Cour pénale internationale, la CPI -, il n’a pas non plus retenu ses coups contre son rival Alassane Ouattara. Selon lui, c’est sa volonté de briguer un troisième mandat qui est la cause de toutes les tensions actuelles.
« Coup KO »
Face au président sortant qui promet de l’emporter en « un coup KO », seul Kouadio Konan Bertin jouera donc le jeu. De quoi lui valoir les critiques acerbes de ceux qui le taxent de « faire valoir démocratique » de Ouattara. « Heureusement qu’il est là », concède un ministre.
En campagne, le dissident du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) s’est rendu dans une dizaine de villes. « Vous êtes suffisamment mûrs et formés pour assumer vos responsabilités dans ce pays. Le samedi 31 octobre 2020, allez massivement aux urnes pour sauver la Côte d’Ivoire », a-t-il lancé jeudi à Koumassi. L’ancien député de Port-Bouët (de 2011 à 2016) s’était déjà présenté en indépendant en 2015. Il avait réuni un peu moins de 4 % des suffrages.
« PERSONNE NE SAIT QUELLE FORME ET QUELLE INTENSITÉ PEUT PRENDRE LA CONTESTATION. »
Samedi, les bureaux de vote seront ouverts de 8h à 18h. Sur les 7,5 millions inscrits sur la liste électorale, moins de 3,5 millions ont retiré leur carte d’électeur. Ceux qui ne l’ont pas encore fait pourront les retirer sur le lieu de vote. Mais combien se déplaceront ? Le scrutin pourra-t-il se tenir sur toute l’étendue du territoire ?
Sur le papier, le dispositif sécuritaire prévu est imposant : plus de 35 000 policiers, gendarmes et militaires sont déployés. « Mais ils ne pourront pas être partout. C’est un gros test parce que personne ne sait quelle forme et quelle intensité peut prendre la contestation », nuance une source sécuritaire.
Décrédibiliser le scrutin
L’opposition ne fait pas mystère de son intention d’empêcher la bonne tenue de l’élection partout où elle en aura les moyens, pour décrédibiliser un maximum le processus. « Il n’y aura pas d’élection le 31 octobre », répète inlassablement Guillaume Soro depuis son exil parisien, suscitant l’inquiétude de certains responsables du pouvoir. Si elle se tient malgré tout, nul doute que les membres du front « Tout sauf Ouattara » ne reconnaîtront pas la légitimité du président réélu. Comme le confie un intime de Laurent Gbagbo, « l’idée, en creux, est d’installer dans la tête des Ivoiriens qu’Alassane Ouattara, c’est terminé. »
Ces dernières semaines, du matériel électoral a été brûlé dans de nombreuses localités du sud de la Côte d’Ivoire, forçant les autorités à l’acheminer dans des sites sécurisés. Vendredi matin, la situation s’est tendue à Bonoua et Yamoussoukro, la capitale. Des barrages ont été érigés, les manifestants ont affronté la police. À Koun Fao (Nord-Est), le bureau de la Commission électorale indépendante (CEI) a été visé. Quelques axes routiers du Centre ont également été barrés.
Malgré le faible suspense, près de 10 000 observateurs ivoiriens et internationaux seront présents. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine, la Fondation Carter ont chacun déployé une mission. Une délégation de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a également fait le déplacement à Abidjan.
Beaucoup d’Ivoiriens se sentent otages de cette longue guerre des nerfs entre l’opposition et le pouvoir. Depuis une semaine, les Abidjanais scrutent leur téléphone à la moindre alerte. Le traumatisme de la crise postélectorale de 2010-2011 est toujours présent. On a fait des provisions. Certains ont préféré quitter Abidjan pour le Ghana ou regagner leur village. Depuis quelques jours, la gare routière de Yopougon a vu sa fréquentation doubler. Marcelle, la quarantaine, restera chez elle, dans le nord d’Abidjan. « Je n’ai personne pour garder mes enfants. À chaque élection, il a des violences. Cela ne me concerne plus. »
Jeune Afrique