9 Février 2023. La démocratie sénégalaise a toujours été considérée comme un exemple en Afrique, malgré les tensions qui ont toujours émaillé le champ politique depuis les indépendances.
L’histoire nous a enseigné que la rivalité entre la SFIO de Lamine Gueye et le BDS de Léopold Sedar Senghor avait conduit à l’instauration des » bérets verts » et des « bérets rouges ». Ceci traduit le degré d’adversité des deux protagonistes à cette période. Des affrontements durant leurs activités politiques ont occasionné des pertes humaines et des blessés dans les deux camps. Lamine Gueye aurait d’ailleurs reçu un coup de feu en janvier 1955 lors d’une tournée politique en Casamance.
Cependant, les deux hommes sont revenus à de meilleurs sentiments en privilégiant l’intérêt général de la nation au détriment des leurs ambitions personnelles en1958.
Le Sénégal à l’instar de plusieurs pays africains accède à l’indépendance en 1960. Léopold Sedar Senghor devient le premier président de la République. Mamadou Dia était le Président du Conseil. Senghor était chargé de la gestion des questions extérieures et Dia s’adonnait aux affaires économiques.
Senghor et Mamadou Dia symbolisaient la complémentarité de deux visions différentes dans l’approche.
La crise politique de 1962 conduit à l’emprisonnement de Mamadou Dia, accusé de tentative de coup d’État. Le Président du conseil prônait un discours souverainiste tout en critiquant la gabegie et les dérives à l’endroit de certains fonctionnaires. Cette thèse est souvent avancée comme le principal motif de son incarcération avec plusieurs cadres pris pour complices dans ses agissements. Les tensions politiques étaient vives conduisant Senghor à décréter l’État d’urgence.
Sentant son incapacité à répondre aux attentes des Sénégalais, Senghor confie le pouvoir à Abdou Diouf qui fut premier ministre de 1970 à 1980. La transition fut démocratique même si Senghor avait préparé au préalable son dauphin.
Pendant vingt ans les rapports furent conflictuels entre Abdoulaye Wade et le deuxième président de la République. Le Sénégal avait connu de vives tensions politiques en 1988 et plus tard en 1993 avec l’assassinat de Maître Babacar Seye ancien vice-président du conseil constitutionnel. Abdoulaye Wade fût ministre d’État sous le magistère de Diouf avant d’être arrêté en 1993 suite à son accusation du présumé meurtre de maître Seye au lendemain des élections présidentielles. Le pays avait connu des émeutes d’une violence inimaginable.
En l’an 2000, le pape du Sopi soutenu par une jeunesse engagée devient le troisième président de la République. Son accession au magistère suprême est saluée par la communauté internationale lorsque le président sortant, en gentleman reconnaît sa défaite en félicitant son plus farouche opposant. Le Sénégal écrit ainsi une nouvelle page dans les annales de la démocratie moderne.
Durant son mandat maître Wade emprisonne Idrissa Seck qui fut premier ministre de 2002 à 2004, accusé pour un détournement de plusieurs milliards suite à un rapport de l’I.G.E occasionnant ainsi un soulèvement de la jeunesse. Par la suite, Macky Sall qui voulait que Karim Wade soit entendu sur la gestion des biens publics échappe à la prison avec l’intervention de Serigne Bara Mbacké. Il devient ainsi l’un des plus grand opposant de son ancien mentor qui lui avait confié les plus grands postes de responsabilité du pays. Avec maître Wade, le Sénégal avait connu une amélioration de la liberté d’expression (multiplication des médias, la non interdiction des marches pacifiques et le dynamisme de la société civile). Toutefois, Abdoulaye Wade, en voulant imposer le quart bloquant provoque une contestation du peuple sénégalais occasionnant des pertes humaines et des dégâts matériels. Abdoulaye céda face à la volonté du peuple.
En 2012, Macky Sall succède à Abdoulaye Wade. Une ère nouvelle s’ouvre dans l’histoire politique du Sénégal. Il prône une gestion sobre et vertueuse avec un renforcement des institutions de la République. Il met à jour la CREI (Cours de de répression de l’enrichissement illicite). Un an plus tard, en Avril 2013, Karim Wade est placé en garde à vue puis inculpé pour un détournement de deniers publics. Quatre ans plus tard Khalifa Sall est épinglé par le rapport de l’IGE pour un détournement des fonds de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. L’opinion qualifie alors son incarcération de liquidation d’un adversaire politique qui prenait de l’ampleur. Le candidat qui promettait la rupture finit par réveiller les vieux démons de l’adversité politique. À cela s’ajoute l’instauration du parrainage perçu comme un moyen d’éliminer des opposants politiques. Sous le magistère de Macky, le Sénégal connu une ère de restriction des libertés qui se traduit par l’arrestation des journalistes, des activistes, de guides religieux et des opposants politiques. Ainsi, le président Macky Sall réussit à museler l’opposition sénégalaise en la réduisant comme il l’avait prédit « en sa plus simple expression».
En Août 2016, radié de la fonction publique pour un manquement de devoir de réserve, Ousmane Sonko est révélé au grand public. Il devient en peu de temps l’opposant le plus radical du Président Macky Sall. Il s’attaque à la fois au fonctionnement du système et à la politique néocoloniale en Afrique. Adulé par une jeunesse patriotique engagée, il parvient à s’imposer comme leader de l’opposition sénégalaise .Nonobstant son ascension fulgurante dans la scène politique, Ousmane Sonko devient une menace pour le parti au pouvoir Une tentative de diabolisation est engagée pour casser son élan. Il fut qualifié de Rebel pour ses origines puis de salafiste. Critiquant les dérives du régime, il reçoit au retour des attaques de tout bord. La nuit du 2 au 3 février, Ousmane Sonko est accusé de viols répétitifs et menaces de mort par une jeune fille d’un salon de massage .Une affaire privée prend en otage tout un pays. Deux procès se dessinent : le procès politique et le procès moral. Ousmane Sonko appelle à la résistance tout en qualifiant l’affaire de complot concocté par la mouvance présidentielle. Une vague d’émeutes éclatent dans le pays, occasionnant quatorze morts et des dégâts matériels à coût de milliards. Plusieurs faits concourent à attiser le déferlement du soulèvement populaire (scandales financiers dans la gestion des biens publics, restriction des libertés, une jeunesse sans emploi, une justice inéquitable et la détérioration des conditions de vie des populations. Même si l’affaire reste pendante devant la justice, le leader du Pastef parvient à gagner la bataille de l’opinion.
L’analyse de l’histoire politique du Sénégal nous montre que notre pays a connu des tensions liées à la diversité des idéologies, à la contradiction des visions et la différence des ambitions. Les querelles politiques ont toujours secoué les piliers de notre stabilité. L’an 2024 s’approche, une impasse se dessine. La question des futurs potentiels candidats ne trouve toujours pas de réponse. À cela s’ajoute, une probable troisième candidature du président sortant qui fait débat. Notre pays n’a jamais vécu un tel scénario à la veille des joutes électorales.
Le Sénégal est plus que jamais à la croisée des chemins avec des enjeux géopolitiques dans un monde en pleine mutation. Le terrorisme prend de plus en plus de l’ampleur, l’appartenance ethnique est de plus en plus fréquente dans les discours, la justice est de plus en plus fustigée pour son impartialité et les régulateurs sociaux sont de plus en plus dans la réaction. En effet, la non prise en charge de ces considérations risque de briser les piliers fondamentaux de notre vouloir vivre collectif. L’adversité est permise dans le champ politique si seulement le conflit est orienté dans un débat d’idées constructives capables de transformer considérablement le vécu quotidien du peuple.
Par Oumar Kassoum Dia Bocoum.